En plein confinement, entre toutes les belles nouvelles d’entreprises innovant ou transformant profondément leur activité pour répondre à la crise sanitaire, je tombe sur cet article concernant la conception d’une borne automatique de distribution de gel hydroalcoolique, imaginée par une société lyonnaise. Le groupe La Barrière Automatique (groupe LBA) a imaginé et conçu en quelques semaines cette borne innovante qui permet de se désinfecter les mains dans les lieux publics. Ma curiosité a été piquée par le fait que l’entreprise avait développé cette borne en quelques semaines seulement, en plein confinement, et alors qu’elle ne produisait pas ce genre de produit avant. Mais également par la modularité du produit (le fait qu’il puisse être transformé en autre chose, une fois le besoin épuisé). Il y avait là tous les ingrédients d’une entreprise résiliente et circulaire. Mais j’avais l’impression que la démarche était plus intuitive que consciemment durable et résiliente…ce qui la rendait d’autant plus intéressante.
J’ai donc contacté Hélène LORENZI-HARDOUIN, DG adjointe du groupe pour en savoir plus. Voici les dessous de ce projet, qui est la preuve qu’une intuition que j’ai : que nos entreprises françaises ont toutes les ressources pour se transformer, vers des modèles plus durables et résilients. Et surtout, surtout, que cette transformation est économiquement viable !
Bonjour Hélène LORENZI-HARDOUIN. Merci d’avoir pris le temps de nous répondre. Pour commencer, parlez-nous de vous un peu ; quel est votre parcours ?
Je suis architecte-urbaniste de formation. En janvier 2020, j’ai eu l’opportunité de prendre le poste de DG adjointe du groupe LBA (la barrière automatique).
Que fait votre entreprise ?
LBA est une PME familiale créée en 1984. Son métier : la « protection périmétrique » (barrières – de péage, entre autres – tourniquets…). Il y a quelques années, l’entreprise a racheté AMCO les escamotables (produits de sécurité & mobilier urbain). Particularité de ces 2 Entreprises : une production – artisanale – 100% française pour des produits à cycle de vie très long. Robustesse et durabilité sont donc des valeurs fortes depuis toujours au sein de l’entreprise. Même si, effectivement, nous communiquons encore peu sur le cycle de vie de nos produits et leur production en circuit court. En même temps cette démarche durable est quasi inconsciente au sein de l’entreprise, elle est inscrite dans son ADN depuis toujours.
Pouvez-vous nous expliquer comment est né le projet Miss Clean ?
Nous avons réfléchi aux solutions possibles pour sauvegarder l’activité et les emplois
La démarche est née, encore une fois, de manière assez naturelle. Avec le confinement, l’activité des autoroutes (parmi nos principaux clients chez La Barrière Automatique) a chuté. Du côté d’AMCO, les projets urbains en cours ont été mis en « stand by » ; les commandes ont été gelées. Nous avons donc réfléchi aux solutions possibles pour sauvegarder l’activité de l’entreprise et les emplois.
Nous avons, ainsi, entamé une réflexion sur ce que nous faisons, notre métier, notre mission, mais également ce qui fait la force de l’entreprise, ses éléments de différenciation.
Dans le même temps, la Métropole de Lyon nous a sollicité sur 2 besoins urgents liés à la crise sanitaire :
– La constructions de nouvelles pistes cyclables
– L’installation de bornes de gel hydroalcoolique dans la ville pour accompagner les gestes barrière
Or, les « barrières » ça nous connait ! Plus sérieusement, on parle bien ici de « sécurité » et de « protection » : 2 mots-clés qui font partie de notre métier.
Nous nous sommes donc rapidement penchés sur le sujet et avons regardé le matériel et le savoir-faire dont nous disposions pour répondre à ce deuxième appel d’offre. Nous avions en stock des totems en acier (utilisés pour les bornes aux entrées des zones piétonnes pour laisser passer les véhicules autorisés), qui correspondaient, en termes de dimensions, aux besoins de la Métropole.
Puis nous avons constitué une équipe réduite, qui s’est mise à fonctionner assez naturellement en mode agile pour penser et concevoir « out of the box ». Ainsi nous avons dessiné et industrialisé les bornes en 3 semaines. Avec un brevet déposé en bonus. L’avantage de ces bornes : elles s’installent facilement et seront transformables, après la crise, en bornes électriques pour les marchés forains ou en bornes pour zones piétonnes.
Le cycle de vie de nos produits est habituellement d’une trentaine d’années. Nous aimerions que celui des bornes Miss Clean soit aussi long que cela. Cela pourra être possible grâce à leur modularité, mais aussi grâce à la robustesse de nos matériaux et de nos procédés de fabrication.
Nous sommes d’ailleurs en train de concevoir d’autres produits destinés à « la ville de demain ». Nous avons, entre autres, tout une gamme de bornes anti-véhicules bélier appelée « Security by design » (incluant des bornes attaches vélo protégeant les espaces piétons, par exemple).
Avez-vous utilisé une méthodologie ou des outils en particulier pour mener à bien ce projet ?
Depuis plusieurs années, nous suivons une méthodologie d’innovation sur l’ensemble de nos projets. Cette méthode, appelée DKCP, a été enseignée à nos équipes par Albert DAVID, enseignant à l’université Paris-Dauphine. Le principe de cette méthode est de tenter d’aller à l’encontre du sens commun et de créer une innovation de rupture ; elle vise à casser les schémas mentaux.
Les 4 phases de la méthodes se définissent ainsi : Define / Knowledge / Concept / Projet :
Phase 1 – « Define » : l’objectif de cette phase est de partager une définition commune du sujet ; ce à quoi nous voulons arriver (ex : une borne se fondant dans le paysage)
Phase 2 – « Knowledge » : l’objectif, ici, est d’agréger les connaissances internes et externes au sujet par le biais d’études de marché ou d’un mapping concurrentiel, par exemple, mais aussi en listant nos savoirs-faires interne ou encore le matériel déjà disponible, pour construire le produit
Phase 3 – « Concept » : Cette nouvelle phase va permettre de travailler sur des idées les concepts liés aux connaissances (par exemple pour répondre à la question : « qu’est-ce qui existe déjà pour répondre à ce besoin ? »). Ces idées de concepts permettent de trouver des thèmes d’exploration de champs d’innovation mais aussi de voir apparaître les premières déclinaisons opérationnelles possibles.
Phase 4 – « Projet » : Lors de cette dernière phase, les équipes-projet travaillent sur les déclinaisons opérationnelles possibles des concepts évoqués à la phase précédente. C’est durant cette phase que seront faits les dessins industriels puis le passage à l’industrialisation, en optimisant la conception et l’usage du produit.
En parlant d’optimisation, par exemple, les pompes que nous utilisons dans les bornes sont des pompes de dialyse. Nous avions initialement sollicité les fabricants de distributeurs classiques de gel hydroalcoolique. Mais ils étaient submergés et sans stocks disponibles, avec la crise. Nous avons donc réfléchi aux solutions alternatives disponibles et avons pensé aux pompes de dialyse qui ont un fonctionnement parfait pour notre produit.
Voyez-vous déjà des bénéfices économiques à cette démarche ?
Tout d’abord, il faut savoir que l’entreprise fonctionnait très bien avant la crise (le carnet de commandes était plein). Mais effectivement, comme nous l’avons évoqué plus haut, une bonne partie de nos clients ont gelé leurs commandes et leurs réceptions avec le confinement. Le projet Miss Clean s’est donc imposé comme un projet de substitution avec la baisse subite des commandes sur nos produits traditionnels.
l’engouement pour le projet a resserré les liens entre collaborateurs et rassuré sur la capacité de l’entreprise à affronter l’avenir
Grâce à l’appel d’offre gagné avec la Métropole de Lyon et la forte médiatisation du projet, par ailleurs, nous espérons que Miss Clean permettra de conserver les emplois et sauver la trésorerie de l’entreprise à court-terme pour continuer à créer de beaux produits « made in France ».
Par ailleurs, l’engouement des équipes pour le projet a resserré encore plus les liens entre les collaborateurs, a donné un regain d’énergie et rassuré sur la capacité de l’entreprise à affronter l’avenir de façon soudée et proactive.
Est-ce que cette expérience vous a donné envie d’inscrire l’entreprise dans un projet de transformation et de résilience plus profond ?
ce projet a prouvé aux équipes qu’elles étaient capables d’innover pour créer quelque chose d’éminemment utile
Nous avions déjà ce sentiment (peut-être pas tout à fait conscientisé) que l’entreprise avait la capacité de se transformer et d’innover. Mais ce projet a définitivement prouvé aux équipes qu’elles étaient capables d’innover, en mode agile, pour créer quelque chose répondant à un nouveau besoin émergeant et éminemment utile pour la société et la santé de tous.
Le projet Miss Clean a reçu un engouement médiatique inespéré. Voici quelques retombées :
- Article 20 minutes qui m’a fait découvrir le projet : https://m.20minutes.fr/amp/a/2782159?__twitter_impression=true
- Article BFMTV du 15 mai : https://www.bfmtv.com/societe/lyon-voici-a-quoi-ressemblent-les-bornes-de-gel-hydroalcoolique-qui-seront-installees-dans-la-rue-1913609.html
- Reportages TF1 au 13h du vendredi 5 juin : https://www.linkedin.com/feed/update/urn:li:activity:6675695413938397184/
- Et voici la vidéo de présentation officielle de la borne : https://youtu.be/3myVdQH92kA