Vous connaissez surement le chocolatier Valrhona. Vous saviez peut-être que c’était une entreprise pionnière en matière de management participatif (ce que l’on a appelé « l’entreprise libérée »). Mais saviez-vous également que l’entreprise avait une démarche de Développement Durable très avancée ?
Alice DUX, chef de projet RSE, va nous en parler en revenant plus spécifiquement sur 2 projets majeurs du moment :
– Le projet d’emballage réutilisable « ComeBac »
– L’objectif de neutralité carbone sur le périmètre de la chocolaterie pour 2020, et sur l’ensemble de sa chaîne de valeur (« de la plantation à l’assiette ») d’ici à 2025.
Bonjour Alice, pouvez-vous d’abord vous présenter ?
Bonjour, je m’appelle Alice DUX, je travaille depuis 4 ans chez Valrhona au sein de l’équipe RSE.
Plus jeune, Je voulais devenir médecin et faire de l’humanitaire. Malheureusement – ou heureusement – je n’ai pas réussi le concours d’entrée et ai finalement trouvé ma voie dans le Développement Durable. En effet, J’ai fini par faire une Ecole de Commerce avec spécialisation en conseil et entrepreneuriat social. En année de césure, j’ai travaillé chez Valrhona, puis lors de mon stage de fin d’étude.
Quel est votre métier ?
L’équipe RSE chez Valrhona est constituée de 4 personnes :
– 1 responsable
– 2 chargées de projets (dont moi)
– 1 personne chargée des fonds de dotations / fondation / solidarité
Personnellement, je m’occupe plutôt des sujets liés à l’environnement : démarche d’éco-conception, économie circulaire, des certifications (ISO 26 000, B Corp – nous sommes labellisés depuis le début de l’année 2020).
La démarche RSE a énormément évolué chez Valrhona depuis mon arrivée. Au début, l’entreprise par exemple, ne communiquait pas du tout sur sa démarche RSE.
Comment travaillez-vous avec les autres fonctions de l’entreprise ?
Historiquement la RSE était rattachée au marketing. On pourrait penser que cela biaise la démarche RSE de l’entreprise, mais ça n’a pas du tout été le cas. Au contraire : entre l’engagement très forts de l’ensemble des collaborateurs vis-à-vis d’une démarche durable et le fait que le marketing avait des budgets conséquents pour faire avancer les projets, ce fut un très bon tremplin.
La RSE est maintenant directement rattachée à la Direction Générale. Nous avons gardé beaucoup d’interactions avec le marketing. C’est d’ailleurs très agréable, car le marketing nous consulte énormément sur des problématiques produits, sur des temps forts (Pâques, Noel), des événements…
La RSE est devenue un argument de choix pour les commerciaux qui nous consultent et nous challengent souvent.
Le propre de mon travail est d’être en interaction avec beaucoup de personnes dans l’entreprise.
Revenons sur Valrhona. Quelle est l’activité de l’entreprise ?
L’entreprise a été créé en 1922. Basée à Tain l’Hermitage, elle possède des bureaux dans le monde entier.
Son métier est la transformation de cacao en chocolat, principalement destiné aux professionnels (traiteurs, pâtissiers). Nous sommes également très présents dans les réseaux CHR (NDRL : Cafés Hôtels Restaurants).
Nous sommes 860 collaborateurs. La majorité étant basée à Tain l’Hermitage.
Valrhona appartient au Groupe Savencia (Famille Bongrain). Un groupe divisé en 2 branches : une branche « fromages » et une branche « gourmet », avec énormément de marques connues et d’autres marques de chocolat.
Quelles sont les initiatives en matière de RSE qui ont été mises en place au sein de l’entreprise ?
Valrhona est une entreprise engagée depuis très longtemps auprès de ses fournisseurs de cacao. En 2006, la fondation Valrhona a été créée. Et depuis 2011-2012, une véritable politique RSE coordonnée s’est mise en place, structurée en 8 actes (1 par partie prenante).
En 2015, une nouvelle démarche, encore plus poussée, appelée « Live Long », a été mise en place. Elle se répartit sur 4 piliers :
1. Filière cacao durable et éthique (partenariats avec les producteurs, traçabilité…)
2. Environnement : engagement de devenir neutre en carbone dès 2020
3. Gastronomie : aider les chefs à rentrer dans un modèle + durable (sourcing, anti-gaspi…) ; Valrhona a un rôle d’inspiration envers eux, principalement, pour l’instant.
4. « Ensemble » : le volet social, avec au cœur une vision de libération d’entreprise, écrite en intelligence collective
Pouvez-vous maintenant nous donner un peu plus de détails sur le projet ComeBac ?
Depuis des années maintenant, nos collaborateurs travaillent à la diminution de nos déchets, à l’écoconception de nos produits, à la réduction du poids de nos emballages, etc…L’emballage de nos chocolats est traditionnellement en plastique et aluminium : ce qui fait de lui un emballage absolument pas recyclage. Ce point était une barrière majeure à la crédibilité de notre démarche durable vis-à-vis de nos clients ; les commerciaux me disait : « Alice, tant que l’emballage de nos produits ne sera pas recyclable, tu pourras nous parler de tous les projets RSE, ça ne convaincra pas nos clients ! ».
Changer de prisme et passer d’une problématique environnementale à une problématique « expérience clients »
Notre challenge était donc de trouver un emballage recyclable sans que cela n’altère la saveur et le profil aromatique de nos différents chocolats. Or, aujourd’hui, il n’y a pas d’alternative technologique à notre emballage en aluminium.
Nous sommes donc allés voir l’équipe Innovation. Ils ont d’abord fait un constat : que notre emballage actuel, en plus de ne pas être recyclable, avait d’autres inconvénients, en particulier en terme d’expérience clients. En effet, il n’est pas refermable ; nos clients le jettent très rapidement et mettent les fèves de chocolat dans d’autres contenants chez eux, ou, pire, utilisent du film alimentaire pour le refermer (= beaucoup de déchets).
L’idée a donc été de changer de prisme et de passer d’une problématique environnementale à une problématique « expérience clients ».
A partir de là, notre 1ère action a été de répertorier l’ensemble des solutions alternatives disponibles en terme d’emballages. Pendant plusieurs semaines, nous nous sommes beaucoup intéressés au vrac, aux emballages réutilisables, mais aussi aux notions de « reverse-logistique ». La conclusion, évidente pour nous, était qu’il fallait aller vers un emballage réemployable.
La 2è étape a été de convaincre les équipes en interne de se lancer dans ce projet, car beaucoup de questions se posaient (question des km en +, du lavage des emballages après utilisation, de la qualité et de la durabilité de l’emballage….) et de nombreux métiers de l’entreprise allaient être impactés (chaines de production, achats, logistiques…).
Nous avons donc décidé de mettre en place un projet pilote, en septembre 2020, auprès d’une centaine de nos clients lyonnais. Objectifs :
– Identifier une solution permettant la meilleure expérience client
– Vérifier que la solution est viable en terme de qualité, durabilité, nettoyage…
– Vérifier l’impact environnemental de cette solution (c-a-d quel périmètre géographique pouvons nous couvrir avec une telle solution tout en restant vertueux en terme d’empreinte carbone ?)
D’ici là, nous devons trouver le contenant le mieux adapté parmi les produits disponibles (nous pourrons ensuite, quand le projet sera lancé à grande échelle, faire un contenant sur mesure). Nous avons donc rencontré de nombreux acteurs (comme Loop ou encore « Ma bouteille s’appelle revient ») qui ont partagé avec nous leur expérience.
Notre vision sur ce projet est d’amener, à terme, tous nos clients à aller vers ce type d’emballages réutilisables. Comme d’habitude chez Valrhona, nous cherchons à impliquer et embarquer l’ensemble de nos parties prenantes et en particulier nos clients dans nos projets et vers des solutions qui nous paraissent + durables. D’ailleurs, nous avons déjà impliqué une 10aine de clients lyonnais dans le projet, pour nous aider à développer la meilleure solution qui répondrait le mieux à leurs besoins.
Autre projet RSE très ambitieux, la neutralité carbone. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Notre bilan carbone provient à 80% sur la culture de cacao (du fait de la déforestation). Sur ce point nous menons beaucoup de projets avec nos producteurs pour améliorer la situation (pratiques agricoles, changement de cultures, projets de reforestation…).
Sur le périmètre de la chocolaterie, beaucoup de choses ont déjà été faites. Depuis 2013, nous avons réduit de 60% les émissions de Co2. Parmi les projets, on peut citer :
– La gestion de la chaine du froid
– une chaudière biomasse, chauffée avec les coques de cacao
– tous les éclairages sont passés en LEDs
– renouvellement du matériel (moins consommateur d’énergie)
– l’éducation et l’implication des collaborateurs sur la réduction des consommations
La façons dont l’entreprise s’est fixé cet objectif de neutralité carbone incluant le scope 3, à horizon 2025, a été une expérience un peu folle ! L’objectif initial était de réduire de 50% les émissions de Co2 (scopes 1 et 2), ce qui était déjà ambitieux. Lors d’une réunion, avec le Comité de direction, sur le sujet, il se trouve que nous avons également présenter un dossier parlant de « neutralité carbone « . Du coup, à la fin de la réunion, le Comité de direction nous a unanimement demandé pourquoi nus ne visions pas la neutralité carbone !
Quelles sont, selon vous, les origines d’un tel engagement envers une démarche RSE ?
Jean-Luc GRISOT, notre ancien PDG, était déjà convaincu par la nécessité d’une démarche RSE forte au sein de l’entreprise. Notre directrice générale actuelle, est également très engagée et n’a fait qu’accélérer ce qui avait été initié par son prédécesseur.
Par ailleurs, les collaborateurs se sont intéressés à ces sujets assez rapidement. Personnellement, je n’ai passé ma 1ère année à les convaincre, à les engager, mais maintenant, je n’ai plus du tout besoin de cela, ils sont devenus extrêmement moteurs et sensibles à tous ces sujets de RSE.
D’où cela vient-il ? Est-ce que notre implantation géographique, plutôt rurale, au cœur de la Drôme, verger de la France, où l’on peut tous les jours observer les enjeux du changement climatique y contribue ? Peut-être.
Quelle est selon vous, votre plus grande réussite en termes de RSE, chez Valrhona ?
Je vois 2 réussites en particulier.
– La labellisation B Corp : beaucoup de collaborateurs ont participé à cette démarche initiée en 2017. Quand nous avons reçu la labellisation en janvier 2020 c’était donc une grande fierté pour tous.
– La gestion de la filière cacao, notamment en Côte d’Ivoire où le prix est fixé par le gouvernement. En 2017, malgré la forte baisse des prix, Valrhona a voulu maintenir ses prix d’achat pour garantir le niveau de vie de nos producteurs.
Quels sont les impacts économiques ou sociaux de vos actions RSE ?
Nous n’avons pas encore mis en place de mesure d’impact précise. Mais il est clair que tout le travail fait autour des packagings a permis de faire des économies conséquentes (énergie, économies de matières).
le bien-être, des collaborateurs, est source d’innovation, de créativité, de productivité
D’autre part, le bien-être, en général, des collaborateurs, est clairement source d’innovation, de créativité, de productivité et a permis d’instaurer une ambiance de travail saine ; ce qui a forcément des conséquence économiques, à terme, même si nous ne savons pas encore les calculer.
Merci à Eclaira, pour son article mettant en valeur le projet ComeBac de Valrhona (disponible ici), qui m’a inspiré et donné envie d’en savoir plus sur la démarche de Valrhona