Aujourd’hui, j’ai le plaisir d’interviewer Khaled AL MEZAYEN, co-fondateur d’InovaYa.

J’ai rencontré Khaled lors des rencontres Produrables Lyon, en mars dernier. Je croyais me faire embarquer dans un sujet très technique, en parlant « traitement de l’eau », mais Khaled parle surtout d’altruisme et de solidarité, de guérison et de durabilité.

ATTENTION : personnage passionnant !

Bonjour Khaled, pouvez-vous vous présenter, pour commencer ?

Bonjour, Khaled al Mezayen, je suis co-fondateur d’InovaYa.
Je suis né en Roumanie d’un père Syrien et d’une mère Roumaine. Je suis arrivé en France à l’âge de 5 ans. Puis, je suis reparti en Syrie, en 1996. J’y suis resté 7 ans, à Damas. J’étais scolarisé à l’école française de Damas.
J’ai pu bénéficier d’une éducation privilégiée (études française, famille très éduquée). Au fond de moi, je me sens plus Français que Syrien ou Roumain. C’est d’ailleurs la langue que je pratique au quotidien.

Revenu en France après mon bac, je me suis assez naturellement tourné vers des études en pharmacie, à Nancy, venant d’une famille de médecins. J’ai obtenu mon doctorat en 2010. J’ai également un double diplôme de l’école de commerce de Toulouse.

J’ai beaucoup travaillé en Asie du Sud-Est pour le compte d’entreprises française sur des compléments alimentaires et dispositif médicaux. En 2012, j’ai eu une expérience dans un camp de réfugiés syrien, à la frontière turque, pour y apporter des médicaments.
C’est là-bas que j’ai réalisé que si les besoins de « base » ne sont pas résolus, le reste ne “sert à rien”. De là est probablement né mon intérêt pour la problématique de l’accès à l’eau dans le monde.

A ce sujet, la situation se dégrade très vite et beaucoup plus vite que les prévisions les plus négatives.
40% de la population mondiale a déjà des problèmes d’accès à l’eau (et cette eau n’étant même pas potable) ; on estime que ce sera 70% d’ici 20 ans.

Depuis 8 ans, je suis “tombé amoureux de mon problème”, comme on nous le disait tout
le temps chez Ticket For Change

Quel est votre métier ?

Le métier d’InovaYa, c’est le traitement de l’eau…mais…avec une approche complètement innovante.
La – double – mission d’InovaYa est d’améliorer l’accès à l’eau potable des communautés isolées dans le monde ET de préserver la ressource en eau en traitant les effluents industriels.

J’ai co-fondé en février 2018 Inovaya avec Justine Vidil et Guillaume Lonchamp :

  • Justine vient de la coopération internationale, Elle a notamment travaillé pour Business France au Vietnam. je l’ai rencontrée en Roumanie.
  • Guillaume était à la Direction administrative & financière d’une entreprise de l’automobile en Roumanie

InovaYa est une SAS avec agrément ESUS. Nous sommes également « Jeune entreprise innovante », ce qui fait d’InovaYa la seule entreprise ayant les 2 agréments en France…Et c’est bien malheureux. Pourquoi ? Parce qu’en France, on a du mal à croiser innovation et engagement sociétal. L’innovation, dans l’esprit des gens, est encore beaucoup trop liée à une logique économique et financière.

InovaYa a donc 2 activités majeures :

traiter les sources d’eau non potables dans les zones isolées, difficiles d’accès ou de conflit.

traiter les eaux industrielles

Pour ce qui est du traitement des sources d’eau non potables, nous intervenons en République Démocratique du Congo, aux Philippines, en Roumanie, mais aussi en Côte d’Ivoire.
Sur le terrain, nos techniciens font des analyses d’eau. En fonction de ces analyses, nous mettons en place un processus de traitement adapté, en utilisant des pompes et des filtres. Nous travaillons également avec les populations pour que le projet soit le mieux accepté. Une technologie qui marche c’est bien, une technologie qui est utilisée c’est mieux.
Il n’y a pas de solution universelle : toutes les eaux sont différentes ; les polluants sont différents d’une eau à une autre !
Notre approche consiste à placer des capteurs dans nos circuits de traitement d’eau. Un algorithme permet de donner des ordres aux pompes et aux électrovannes, au plus juste ; il nous permet également d’identifier le meilleur moment pour nettoyer les filtres.

Pourquoi une telle solution ? Aujourd’hui, L’Homme maitrise très bien le traitement de l’eau. Le problème est que souvent le modèle économique est basé sur les consommables (filtres, cartouches, maintenance). Notre modèle, au contraire, consiste à préserver au mieux les filtres et limiter la maintenance, qui est d’ailleurs une compétence peu répandue dans les pays en développement. L’ambition d’Inovaya est de croiser les expertises des automaticiens et des techniciens de l’eau, avec pour objectifs :

  • D’avoir des machines qui peuvent durer 10 ans (pour allonger la durée de vie du matériel ; cela correspond d’ailleurs plus ou moins à la durée moyenne de vie d’un camp de réfugiés ).
  • Un suivi précis, dans le temps, de la qualité de l’eau

Nous travaillons beaucoup avec les communautés locales (communauté de femmes, par exemple, qui gèrent souvent l’eau dans certains pays). Ce travail est fait avec des ONG et/ou des autorités publiques qui font le lien avec ces communautés locales.

Notre objectif : avoir l’approche la plus adaptée aux problématiques locales en intégrant les communautés locales dans les projets pour les autonomiser, à terme.

Notre 2è activité consiste à traiter les eaux industrielles
Les industriels ou agriculteurs rejetant leurs eaux usées dans les eaux communes, 80% de ces eaux ne sont pas traitées et souvent polluées.
Les sources industrielles (qui représentent 20% des eaux usées dans le monde) sont assez faciles à identifier.

Cette activité est née de notre volonté de mettre nos procéder et solutions techniques à disposition des industriels avec comme objectifs de :

  • réduire le prélèvement et optimiser l’usage pour garantir l’accès à l’eau au plus grand monde
  • limiter les usages de produits chimiques et de rejets non traités ou mal traités dans l’environnement

C’est une activité que nous proposons depuis 2 ans

Plus largement, la mission d’InovaYa est le traitement du “petit cycle” de l’eau, c’est-à-dire, tout ce que les humains font avec l’eau.

Quels sont les plus grands défis, dans votre métier ?

Tout d’abord, ce qu’il faut savoir c’est que la logique de traitement de l’eau actuelle, mise en place durant les Trente Glorieuses, est très coûteuse et très compliquée, surtout dans des zones où l’expansion humaine est très importante (Par exemple, Kinshasa, capitale de la République Démocratique du Congo, comptait 12 millions d’habitants, il y a 10 ans ; aujourd’hui, 20 millions de personnes y vivent !)

Plus près de chez nous :

  • Les cahiers des charges des traitements d’eau, en France, par exemple, sont extrêmement sévères (il faut savoir que l’eau potable, en France, est souvent de meilleure qualité que l’eau de source ; plus de 70 paramètres sont vérifiés avant de la mettre à disposition des habitants).
  • Le modèle économique n’est valable que si chaque foyer consomme > 120 m3
  • Enfin, la réglementation est une vraie barrière au changement de modèle (le principe de précaution est très – trop !? – fort à la sortie des usines de traitement)
    Nous participons d’ailleurs à un super projet, en Guyane, autour de cette problématique (et la demande de changement est très forte)

Les enjeux sont énormes :

  • l’eau sera LA principale origine des guerres à venir. Pour rappel, un des principaux déclencheurs de la dernière guerre entre Israël et la Syrie était la récupération du plateau du Golan, qui représente 30% du volume d’eau utilisé en Israël.
  • chaque année, le manque d’eau cause 2,3 millions de morts (majoritairement des enfants de moins de 5 ans à cause de la déshydratation)
  • dans un autre registre, il ne faut pas oublier que le traitement de l’eau, est une source non négligeable de rejet de GES (gaz à effet de serre), surtout pour les eaux usées non traitées, au travers de la construction et entretien des barrages, de la production et distribution de l’eau potable et enfin de l’épuration des eaux usées.

Aussi, chez InovaYa, nous croyons en un système décentralisé, qui résoudrait pas mal de ces problèmes, mais aussi de discriminer la qualité de l’eau en fonction du besoin local.
D’ailleurs, la plupart des acteurs de l’eau sont ouverts à ces solutions décentralisées. Mais il est très difficile de faire bouger le modèle dominant en place pour toutes les raisons économiques, politiques et réglementaires que nous avons évoqué plus haut.

Si ce sujet vous intéresse, je vous conseille fortement de regarder « Brave Blue World », sur Netflix. De nombreux sujets autour du traitement de l’eau y sont évoqués, dont l’exemple à Chennai, en Inde (zone de fort stress hydrique), d’un immeuble fonctionnant avec un système de traitement de l’eau autonome et décentralisé, grâce, en particulier, à la mise en place de « boucles de l’eau ».

Plus jeune que souhaitiez-vous faire de votre vie ?

Je voulais être architecte. J’adore le dessin ! Puis, au cours de mes études, ce projet a évolué vers du Design Industriel. Mais la “pression” familiale m’a finalement emmené à choisir une profession médicale. Je me suis donc orienté vers la pharmacie industrielle avec le désir de créer des produits qui « guérissent ». Mais j’ai assez vite été désenchanté par le milieu pharmaceutique. Ce qui m’a amené à évoluer vers des projets « à impact » plus concrets.

Pouvez-vous citer les 3 adjectifs qui vous définissent le mieux, selon vous ?

Je dirais…

  • Diplomate : je n’aime pas froisser les gens ; j’aime bien exprimer les choses de manière à ce qu’un consensus émerge.
  • « Courant d’air » : je suis tout le temps partout, sur beaucoup de sujets ; j’aime également être disponible
  • Tenace : Vous voyez le petit garcon dans le film « La-haut » ? Ben c’est moi ! ;-P

Quel.s conseil.s pourriez-vous donner à ceux qui voudraient se lancer dans l’entrepreneuriat à impact ?

L’entrepreneuriat à impact est le seul type d’entrepreneuriat qui résistera « demain » : on ne pourra plus se permettre le superflu, à l’avenir. Cela devient donc même une obligation de se tourner vers des activités « à impact », car les ressources (pétrole, métaux…eau…) sont finies et deviendront – deviennent déjà, pour beaucoup d’entre elles – rares.

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